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Le statut de l'erreur et
les processus de l'apprendre

André GIORDAN

 

Généralement, l’erreur est stigmatisée dans l’enseignement en France. Elle est perçue par la plupart des élèves comme une « faute », elle contribue fortement à la perte d’estime de soi. Pourtant depuis 5 siècles, Philosophes et scientifiques ont toujours considérée l’erreur comme inévitable dans l’élaboration du savoir.
Comment préparer l’enseignant à comprendre les erreurs pour repérer les obstacles à l’apprendre ? Les connaître ne suffit pas, encore faut-il pouvoir y remédier. Quel modèle de l’apprendre envisager ? De « faute » dans les modèles frontal ou imitatif, elle devient « bogue » dans le modèle behavioriste. Même le modèle constructiviste (méthodes actives, projets,..) ne peut transformer une conception erronée profondément enracinée ou provoquer un changement de comportement. L’accomodation (Piaget 1976), la refutation (Bachelard 1934) ou même l’inhibition (Houdé 2007) sont limitées. Le modèle allostérique doit être appelé à la rescousse ; celui-ci n’exclut pas toutefois les autres modèles, mais introduit d’autres dimensions qui conduisent l’enseignant à dépasser ses propres conceptions sur le métier. L’erreur devient alors «ressource », « point d’appui », « repère »,.. Il lui faut faire «avec (elle) pour aller contre» ; ce qui demande tout un « environnement didactique» (Giordan 1998).

Le savoir ne cesse d’augmenter : en une décennie, plus de savoirs ont été produits que toutes les générations précédentes. La connaissance change de forme, de contenu, ce qui implique qu’il faut en permanence… apprendre. Savoir apprendre devient la principale compétence dans un monde complexe et incertain. Aujourd’hui, quelqu’un, qui ne sait pas apprendre devient un… illettré.

Pourquoi s'intéresser à l'erreur ?

A l'école, l'erreur est considérée comme une « faute » qu’il faut bannir.  Hors l’école, elle a toujours été considérée comme inévitable, inhérente au processus de l’apprentissage. Depuis Roger Bacon, (1270), en passant par Jean Sénébier (1802) et Claude Bernard (1865), la connaissance avance par un travail sur l’erreur. Il y a plus de 70 ans, Bachelard (1934) a synthétisé cette idée : «  L’esprit scientifique se constitue sur un ensemble d’erreurs rectifiées. » «On connait contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même fait obstacle ».
L'école résiste ainis à cette idée, l’erreur reste une « faute », avec des conséquences dramatiques, bien connues des maitres E : passivité, perte de confiance, décrochage.
Comment dédramatiser l’erreur ? Ne lui faut-il pas donner un autre statut ? On peut déjà commencer par changer les mots : plutôt qu’erreur = faute, disons que l’erreur est un simple « faux-pas », « oubli passager », «une inexpérience », «une omission » ou «une incompréhension ». Sans aller à dire « bonne erreur, belle erreur, erreur très intéressante, l’enseignant peut posititiver et ajouter « on va tenter de la comprendre, de la travailler ». Alors que l’erreur est souvent évacuée à l’école, on peut faire réfléchir sur l'erreur, s’en servir comme un outil pour apprendre.
Cela change beaucoup pour l'enseignant. L'évaluation est alors à repenser : au lieu d’évaluer par une épreuve à la fin d’un cours, ensuite de faire quelques commentaires et de passer à autre chose, l’enseignant doit prendre le temps de faire prendre conscience aux élèves de leurs propres erreurs et d’en expliciter les origines. Surtout il doit permettre à l’élève de les travailler et de les contourner par des exercices ou des situations et ensuite de repasser l’évaluation, avant d’envisager un autre savoir. C’est en rectifiant les erreurs que l’élève apprend vraiment.
Repenser la place et la fonction de l'évaluation est une des priorités dans l’école d’aujourd’hui. Pour permettre une meilleure compréhension de la tâche ou des énoncés par exemple, le décodage des consignes est essentiel : on observe trop d'implicites, de vocabulaire non expliqué, d’incompréhensions liées à une culture différente ou une méconnaissance de la culture de l’école.
Dans le même temps, l’école demande trop souvent aux élèves de réaliser des compétences qu’on ne leur a pas enseignées. Ainsi devrait-elle apprendre à mémoriser, comprendre un exercice à travers les mots habituels, repérer les attendus, les implicites, chercher et valider une information, monter un projet et pour cela apprendre à travailler en groupe ou encore prendre confiance en soi.

Typologie des erreurs

Astolfi (1997) a fait un important travail de classification des erreurs. Toutefois, sans nier cet apport, il est possible de concevoir et de proposer une autre catégorisation plus simple, et surtout plus opératoire car plus complète. Elle est basée sur les 6 dimensions de l’élève dans l’acte d’apprendre :

  • dimensions cognitives
  • dimensions perceptives
  • dimensions émotionnelles (dont affectives)
  • dimensions infracognitives
  • dimensions métacognitives
  • dimensions intentionnelles.

En effet, toutes les erreurs ne sont pas seulement cognitives ou opérationnelles. D’autres erreurs sont issues des autres dimensions que l’école ne peut plus éludées

Les six dimensions de l’acte d’apprendre


1. Erreurs au niveau cognitif. Le niveau cognitif est le niveau habituel traité par l’école. Toutefois de part le décalage entre la culture de l’élève est celle de l’école, les erreurs de ce type s’avèrent très fréquentes ; elles restent encore peu repérées et peu prises en compte par l’enseignant.
Par exemple, l’élève explicite à travers ses propres représentations, parfois erronées, ce qu'il comprend des consignes et des explications. Ainsi, pour lui en français, « le sujet est toujours avant le verbe » :
Dans la phrase « Regarde le champ où poussent les coquelicots », pour lui « poussent = sujet » et « coquelicots = verbe »…
Ou encore en mathématiques, multiplier c’est « trouver un nombre plus grand », ainsi... « 2,3 x 3,1 = 6,3 et 0,3 x 0,3 = 0,9 » car pour lui « un nombre décimal, c’est deux nombres séparés par une virgule ». Donc« pour multiplier deux nombres décimaux, on multiplie séparément la partie avant la virgule et celle après la virgule ».
Toutes les fois qu’un enfant est face à un nouveau savoir, il n’est pas vierge de toute connaissance. Il possède des conceptions, inconscientes ou élaborées de façon empirique qui interfèrent avec les données des livres ou de l’enseignant. Par exemple, en sciences, peut-il dire « Le bébé est donné par le sperme du papa, la maman est une couveuse ».

Dessins de spermatozoïdes par des élèves
On distingue très bien le bébé avant la fécondation…

Erreurs liées à l’émotionnel. Fréquemment, les erreurs cognitives des élèves sont liées à leur niveau émotionnel. Les enseignants les éludent souvent au lieu de les prendre en compte pour les sensibiliser. Par exemple, les élèves savent… mais le stress les empêche de répondre.
«  J’ai stressé. J’ai perdu mes moyens »
« J’ai oublié un mot, une idée, j’ai perdu le fil de mes pensées »
Il importe de les faire travailler au préalable sur leur stress. Les exercices sont multiples. En premier, il importe de leur apprendre à apprendre leurs leçons en se mettant en situation de les restituer.
L’émotionnel peut encore les empêcher d’entendre des données qui vont à l’encontre de leurs valeurs ou de leurs repères culturels. L’enseignant doit savoir accompagner les émotions pour libérer l’apprentissage de la peur de se tromper et pour permettre à l’élève de se motiver pour la tâche qu’on lui demande.

Erreurs perceptives. La simple perception interfère fortement avec les apprentissages. Les symboles, les schémas, les images sont souvent trop fortes et les induisent vers une certaine compréhension erronée. S’ils peuvent être une aide, ils peuvent constituer des obstacles puissants. Une prise de recul, une prise de conscience est un apport capital de l’enseignant.
Par exemple sur les saisons, l’élève peut dire « l’été la Terre est plus près du soleil, voilà pourquoi il fait plus chaud. »

Ces obstacles sont dus ou sont renforcés par des schémas, trop souvent utilisés dans les livres, comme par exemple l’explication du changement de température pendant les saisons qui semble lié à la distance soleil/terre. L’utilisation d’une ellipse dans un plan suggère cette conception.
En éducation physique et sportive, le perceptif est encore plus fondamental. Ainsi en sport collectif, type football ou handball, il faut aller vers la balle. Tout le contraire est nécessaire au tennis. Un travail sur ses réflexes est demandé. Tout comme en éducation à la santé, il serait fondamental d’apprendre à écouter son corps.

Erreurs au niveau infra-cognitif.
Les élèves, comme toutes personnes possèdent des reflexes de pensée, des raisonnements intimes, des truismes. Ils interfèrent fortement dans les décisions, les prises de position, les raisonnements. Les enseignants n’en ont pas toujours conscience. Des formations spécifiques sont à introduire : les élèves ont notablement de mal à dépasser ce type d’erreurs dont l’origine se trouve dans les soubassements de la pensée habituelle.
En particulier, le raisonnement dichotomique est si souvent dominant, (bon/mauvais, vrai/faux, blanc/noir,..), alors qu’il peut y avoir d’autres pistes ou des solutions intermédiaires. Autant d’infracognitifs à expliciter.
Il existe également des évidences qui n'en sont pas ou des causes/effets qui ne sont pas uniques ...
« Ce médicament me fait du bien, j’en prends plus », absence de l’idée d’optimum…
« je mange bio, ça ne peut pas faire mal », « c’est naturel, je peux en manger autant que je veux ». Autant de vérités rarement interrogées et qui bloquent la pensée…

Erreurs métacognitives.
D’autres erreurs, d’autres blocages peuvent résulter non pas du savoir lui-même mais de l’image du savoir pour l’élève. Particulièrement sur les maths, l'image que s'en fait l’élève suffit à susciter la difficulté, parfois même l’angoisse, d’où nombre d’erreurs. « Les maths. ce n’est pas pour moi, trop compliqué ». On pourrait « dire » de même sur la façon dont on continue à enseigner certaines disciplines : «L’anglais... J’sais pas, j’comprends rien, c’est trop bizarre »
Le symbolique, rarement explicité, le rituel de l’exercice présenté de façon formelle créent en soi la difficulté. Il est souvent accentué par une certaine suffisance du livre.
Pareil en ce qui concerne l’apprendre. Rarement, ce processus est sujet d’étude ; l’élève finit par construire l’idée qu’apprendre « c’est difficile », « c’est pénible ». Alors que le savoir est libérateur. Plus on sait moins on est dépendant. Pour lui, « Apprendre, c’est apprendre par cœur », « apprendre, c’est anchi et relou. Je vais pas le faire »

Erreurs par manque d'intention, de désir, de motivation.
Certains élèves qui manquent de confiance, ne voient pas le sens des apprentissages. Il ne trouve pas de motivation suffisante pour chercher à comprendre ou même à entrer dans l’exercice. D’entrée, ils se disent « j’y arriverai pas, j’ai peur d’échouer... » Au delà de l’émotion, la place du désir est fondamentale dans l’acte d’apprendre. Les enseignants oublient souvent de créer cette motivation. Le savoir est présenté sans que l’élève soit concerné, questionné.
La perte d’intérêt si fréquente au cours de la scolarité provient du fait que savoir est présenté à froid sans le questionnement qui l’a fait surgir… De même, il est abordé de façon découpée. Celui qui sait « y trouve ses petits » parce qu’il sait où il va. Celui qui ne sait pas, l’élève, n’en comprend pas l’intérêt et abandonne… Pourtant, les élèves sont capables de refaire 100 fois le même exercice quand cela a du sens pour eux. Pensons à la planche à roulette !

Enseigner n’est pas apprendre

Pour dépasser ces obstacles, l’enseignant aurait tout intérê, au delà de comprendre les obstacles à l’apprendre, à s’interroger sur « comment l’enfant apprend ? ». En enseignant trop, sans tenir compte des attentes, des besoins ou des processus de pensée des élèves, l’enseignant génère une forte perte du désir d'apprendre.
Dans l’école, n’apprend-t-on pas trop aux élèves à perdre leur temps ! On les habitue dès la maternelle à attendre que l’enseignant enseigne, pour éventuellement commencer à apprendre. Au lieu de favoriser le désir, au lieu de leur apprendre à apprendre par eux-mêmes, il en résulte des « consommateurs de savoirs » qui s’étiolent progressivement au cours de la scolarité.
Ce sont des pertes de temps énormes ! Susciter l’envie d’apprendre, fournir aux élèves les outils et les situations pour élaborer par eux-mêmes, à leur rythme leurs connaissances et compétences, n’est-ce pas les clés de la réussite scolaire…
Par ailleurs, il s’agit de sortir de l’opposition stérile méthode frontale versus méthodes actives, lieu commun des débats éternels sur la pédagogie. Apprendre est trop complexe pour se réaliser à travers une seule méthode. En fait, on peut catégoriser 5 grands modèles pour apprendre avec une série de variantes
Pour chacun, regardons comment l’élève peut être impliqué et quelle place fait-on à l’erreur.


Les modèles de l’apprendre

 Modèle par transmission/réception
            - en présence / médias  dont numérique > modèle inversé

 Modèle imitatif

 Modèles behavioristes

 Modèles constructivistes/
            - par ponts (Ausubel, Novak,..)
 assimilation/accomodation/équilibration (Piaget et coll)
 par conflit cognitif (Inhelder, Doise, Perret-Clermont..)
 par liens et étayage social (Bruner)
 par accompagnement personnalisé (Vygotsky)
 socioc./autosocioconstructivite
+ cognitiviste, computationniste et connexionniste / neurocognitiviste

 Modèle allostérique (Giordan, De Vecchi, Pellaud, Easte,…)

Quand on observe en classe les pratiques éducatives habituelles, on peut distinguer d’entrée deux grandes « écoles » pédagogiques. La première, la plus employée, suppose l’acquisition de savoirs comme une simple mécanique de transmission/réception avec un minimum de mémorisation. Effectuée par un cerveau disponible, elle suppose une communication directe et passive du savoir de l’enseignant à l’élève. Cette pédagogie que l’on dénomme « transmissive », « magistrale » ou « frontale » reprend les rituels universitaires. Elle repose sur une relation linéaire entre un émetteur –l’enseignant-, détenteur de connaissances et un récepteur –l’élève- qui se doit d’engranger au fur et à mesure les messages reçus et de les mettre en oeuvre.
La deuxième pratique, née au XIXème siècle, repose sur des activités, des travaux de groupes, des résolutions de problèmes, des études de cas. Dans toutes ces situations, le savoir n’est plus directement transmis, il est construit par les élèves eux-mêmes. On parle de pédagogie « de la construction » ou de «constructivisme». Cette approche part des besoins et des intérêts des individus, elle prend appui sur leurs questions. Elle peut prôner leur libre expression, leur créativité et leur savoir-être. Elle met encore en avant la découverte autonome ou l’importance des tâtonnements dans l’acte d’apprendre. La construction du savoir s’opère par une grande place à l’action et à l’expression des représentations des élèves. Cette pédagogie, censée avoir été développée par Piaget (1976) se rencontre au préalable chez John Dewey aux USA, Edouard Claparède en Suisse, Maria Montessori en Italie ou Alfred Binet en France…
D’autres pédagogies peuvent encore être repérées ; elles sont moins formalisées, souvent évidentes. L’une d’entre elles se base sur l’imitation. Une première définition a été fournie par Thorndike : pour cet auteur, on apprend un savoir, un acte, un comportement « en le voyant faire »  (Thorndike, 1913 2). Cette imitation peut être directe, l’élève fait comme l’enseignant, il regarde et essaie de faire ensuite. Le savoir est acquis par étapes en pratiquant, l’élève parfois peut recevoir en sus quelques conseils.
L’autre, plutôt envisagée dans les pays anglo-saxons, repose sur le «conditionnement» promu au rang de principe. On conçoit des situations accompagnées de questions susceptibles de réponses. L’apprentissage est favorisé par des “récompenses” (renforcements positifs) en cas de bonnes réponses ou des “punitions” (renforcements négatifs) en cas d’erreurs. A travers un tel conditionnement, l’individu finit par adopter le savoir adéquat, celui qui lui évite les renforcements négatifs.
Les travaux du physiologiste russe Pavlov sont à l’origine de ces travaux. Ils ont été repris par les psychologues américains au début du XXème siècle. Cette pédagogie est discrète en France. Pourtant elle est bien présente. L’activité éducative « passe » par des encouragements tels que : « c’est bien, bravo, continuez comme cela » ou le renforcement négatif des erreurs par des regards désapprobateurs ou des injonctions telles que « non, ce n’est pas possible », « vous continuez dans la mauvaise direction, cela fait pourtant plusieurs fois que je vous l’explique... ». Le «bon élève » progressivement se conforme aux attentes du ou de l’équipe d’enseignants.
Même Freinet utilisait nombre d’exercices basés sur ce principe du drill en math. et en français. Actuellement, quantité d’exercices autoprogrammés sont à disposition avec le développement du numérique. Ils visent à la rectification de l’erreur et/ou à l’adoption de bonnes conduites.

Possibilités et limites de ces modèles en classe

Prenons-les les uns après les autres pour mettre en avant leurs potentialités et leurs limites.

Apprendre par transmission/réception
La pédagogie frontale peut être très efficace... Cependant les conditions d’emploi sont féroces : le message n’est entendu par l’élève que s’il est attendu ! En d’autres termes, pour que l’élève apprenne avec ce modèle, une série de clauses sont indispensables. L’apprenant et le enseignant doivent se poser :
-           le même type de question,
-           avoir le même cadre de référence (vocabulaire compris) et
-           une façon identique de raisonner.
En plus, faut-il qu’ils aient en plus le même projet et qu’ils donnent le même sens «aux choses ».
Quand tous ces ingrédients sont réunis, un exposé, une présentation est le meilleur moyen de faire passer le maximum d’informations dans le minimum de temps. Malheureusement, il est difficile de réunir ensemble dans la classe tous ces paramètres ; chacun crée autant d’obstacle à l’apprendre, à commencer par le langage. Sous les mêmes mots, il peut exister un décalage énorme entre le savoir et les conceptions des élèves (enfants ou adultes).


L’obstacle des mots

Les mots sont parfois le 1er obstacle : par exemple, qu’est-ce qu’un fruit? La salade de fruits contient très peu de fruits ! L’ananas, la fraise ou la figue ne sont pas des fruits pour un botaniste !
Par contre pour cuisiner une ratatouille, on utilise essentiellement des fruits ! Courgettes, aubergine, tomates sont des ovaires donc des fruits pour le spécialiste !
Au de là de ce clin d’œil, les mots, leur signification constitue le principal obstacle en math.


L’erreur devient une sanction. Si besoin, le maître au mieux répète. De plus, cet enseignement peut conduire à la passivité et même à l’ennui. L’enseignant traite le plus souvent de questions que l’élève ne se pose pas, il ne se sent pas concerné. Et si ce dernier n’est pas motivé, il s’en détourne très rapidement. D’où le nombre d’échecs avec ce type de pédagogie. Dans le meilleur des cas, l’élève répète en fin de séance ; il donne ainsi l’illusion d’avoir appris sans forcément avoir compris ! Et le savoir est très rapidement oublié…

Apprendre par imitation
Nombre de savoirs s’apprennent par imitation, notamment dans la petite enfance. Le modèle est largement utilisé dans l’enseignement professionnel ou sportif. Il s’agit de copier le maître ou un pair.
L’erreur reste toutefois toujours une faute. Le maître montre alors de nouveau et fait refaire. Ce modèle a sa place à l’école pour des apprentissages simples. L’obstacle principal de cette pédagogie est le désir. Si l’élève n’a pas envie, s’il ne se sent pas concerné, interpellé, il n’apprendra pas. Pour les apprentissages complexes, l’apprentissage demandera un temps très important.
 
Apprendre par béhaviorisme
Les pratiques behavioristes, basées sur un processus de type “stimulus-réponse”, rencontrent quelques succès au travers d’apprentissages élémentaires. Elles peuvent être utilisées dans l’acquisition de gestes ou d’automatismes.
L’erreur est dédramatisée, elle devient un « bogue » qu’il s’agit de reprendre. Malheureusement les limites restent également nombreuses. D’une part, ce modèle ne favorise pas, pas plus que le précédent, la motivation des élèves sur la durée. Nombre d’enseignements de ce type se révèlent fastidieux.
D’autre part, il ne permet pas non plus les apprentissages un peu complexes. Les tenants du behaviorisme tente alors de décomposer ces derniers en sous-objectifs qu’ils abordent séparément. Or un savoir est rarement la somme des sous-savoirs. Des phénomènes d’émergence et de régulation sont à envisager qui ne peuvent pas être traités par des approches stimulus-réponses. 

Apprendre par construction
Les pédagogies actives, à travers le modèle constructiviste, ont eu le mérite de montrer que l’acquisition d’un savoir procède d’abord de l'activité –pas seulement physique, mais mentale- d’un élève. Elle est liée à l’existence de schèmes mentaux déjà en place qui sont activés et qu’on nomme actuellement les « conceptions ». Tout savoir est une « construction du sujet en réponse aux sollicitations de l'environnement » (Piaget 1976). Par ailleurs, ces pratiques peuvent favoriser la motivation de l’élève.
Toutefois ces pédagogies très en vogue actuellement présentent à leur tour nombre de limites à connaître... En fait, rien n’est immédiatement accessible dans l’apprendre. L’appropriation d’un savoir ne se réalise pas de façon automatique par «assimilation», comme le supposait Piaget (1976). C’est une vue trop optimiste ou idéalisée. Pour les apprentissages de concepts ou de démarches, une nouvelle information s’inscrit rarement dans la ligne des savoirs maîtrisés (Giordan 1998). Au contraire, ceux-ci constituent autant d’obstacles sur les plans cognitif et émotionnel. Une déconstruction des conceptions se devrait d’être une étape préalable (Bachelard 1934), or cette démarche est difficilement réalisable. Le élève ne se laisse pas facilement déposséder de ses opinions et de ses croyances qui ont pu se révèler autant de compétences. Il ne change pas facilement de comportement.
Le nouveau savoir se plaque au mieux dessus comme une couche qui se décolle facilement... Les informations nouvelles doivent être intégrées par le système de pensée du élève. Celui-ci s'enrichit, mais le plus souvent il doit se transformer et transformer le problème. Ce qui demande, nous le verrons une phase importante de démontage.
Par ailleurs, les pédagogies constructivistes isolent l’individu apprenant. Or l’expérience de chacun se construit dans un environnement. En mettant l’accent sur les seules capacités cognitives, elles minimisent la place et le rôle du contexte. Le milieu culturel et social contribue pourtant à donner du sens aux situations. Ce qu’avait bien compris Vygotski (1934/1985 en français). Quant à la sphère affectivo-émotionnelle, si elle n’est pas niée, elle n’a pas non plus été prise en compte, faute de modèle explicitant les liens entre le cognitif et l’affectif. Pourtant les sentiments, les désirs, les passions éventuels jouent un rôle stratégique dans l’acte d’apprendre.
Enfin, les différentes pratiques actives paraissent largement muettes sur l’ensemble des conditions qui  favorisent l’apprendre (Giordan 1998). Ce qui est frustrant quand on se préoccupe d’éducation en classe. Pour combler cette lacune, les post-piagétiens, envisagent seulement la « co-action », le « conflit cognitif » ou « l’inhibition ». De tels projets restent pauvres sur le plan pratique pour inférer des situations ou des ressources favorisant l’apprentissage.

Apprendre avec le modèle allostérique

Pour construire, l’élève doit pouvoir déconstruire ses conceptions. Déconstruction et construction ne peuvent être qu’un processus interactif. Le nouveau savoir ne s’installe véritablement que quand l’antécédent lui apparaît périmé. Entre temps, le savoir antérieur, seul outil à disposition de sa personne, a servi de cadre interprétatif.
Il faut donc envisager un « recyclage intellectuel » où interagissent informations et structure mentale pour que la structure mentale de l’élève se transforme. Elle débouche à terme, non pas sur une simple « accommodation » (Piaget 1976) ou sur une réfutation (Bachelard 1934), mais sur une mutation radicale du réseau conceptuel.
La conception non plus ne peut pas être simplement inhibée (Houdé 2013) puisqu’elle sert de cadre de référence et d’élément de reconstruction. De plus, on n’inhibe pas aisément des conceptions très enracinées. L’élève apprend à partir de ce qu'il sait mobiliser mais ses conceptions sont souvent un obstacle. Il devra sans cesse démonter et remonter autrement. L’élève apprend avec ses conceptions, seul outil à sa disposition, mais il doit élaborer son nouveau savoir contre ses conceptions. L’erreur est alors un indicateur du processus, un outil pour progresser, le maître fait travailler l'erreur.


Déconstruction/construction/régulation

Insistons sur le fait qu’apprendre est un processus complexe et paradoxal. Il ne peut se transmettre par une simple méthode. L’enseignant doit pouvoir jongler avec les divers approches décrites ci-dessus, suivant le savoir, l’élève et le contexte…
Il ne suffit pas d’inhiber le savoir de l’élève (Houdé 2014) ou de le réfuter (Bachelard 1936). L’apprentissage demande des phases de déconstruction. Mais pas seulement… L’élève déconstruit vraiment…  s’il a construit une autre conception et s’il a pu la mobiliser et s’apercevoir qu’elle est plus opératoire par rapport aux questions qu’ils se posent... Pour qu’il y ait élaboration d’un nouveau savoir, les phases de déconstructions et de constructions s’avèrent en synergie.
Tout élève agit plus ou moins en cohérence avec sa façon de penser. Ses insuffisances, ses erreurs, ses blocages proviennent des faiblesses de ses modèles mentaux qu'ils sollicitent, mais également de ses ressentis et de ses valeurs. Il ne peut cependant faire à moins, puisque ce sont les seuls outils dont il dispose pour comprendre : sa seule grille de lecture de la réalité. C'est à travers eux qu'il décode l'environnement et prend ses décisions.
Le plus paradoxal est que l'individu élabore sa nouvelle conception au travers de sa conception antérieure. Comme dans une métamorphose d'insecte, c'est cette structure de pensée qui va s'organiser différemment. L’élève « quitte » son savoir antérieur quand un autre, plus fonctionnel, investit sa tête. Encore faut-il qu'il en ait éprouvé la facilité d'utilisation et surtout l'efficacité dans les situations qu’il a à gérer.
En fait, ce que l'on envisage d'ordinaire comme la «transformation d'une conception» ne se réalise que lorsqu'un autre équilibre de pensée émerge.


Si l’élève apprend seul, autre paradoxe, il ne peut apprendre tout seul. Pour arriver à ce que l’élève déconstruise ses conceptions et reconstruise un savoir, il lui faut des conditions favorables. L’acquisition d’un savoir a peu de chances de se réaliser à partir de quelques dires ou même à travers une activité.
Prendre en compte les conceptions est une première étape, encore faut-il ne pas y rester... Pour transformer les conceptions, de multiples éléments doivent interférer. Le modèle allostérique permet de mettre en évidence un ensemble de paramètres favorables ; ils sont connus sous le vocable « d’environnement didactique ».

La confrontation avec la réalité ou l’autre est chaque fois un « bon » départ pour transformer les idées. Elle peut susciter la motivation, favoriser l'expression ou encore l'opposition des conceptions. Encore faut-il qu'il y ait vraiment confrontation et que celle-ci soit opportune... L’élève doit pouvoir opposer ce qu'il pense à ce qui est ; souvent ce dernier nie la réalité (ou ce qui est dit) quand celle-ci lui apparaît trop déstabilisante. L’élève ne voit souvent que ce qu'il veut voir. Il entend ce qu’il veut entendre.

Principaux paramètres constitutifs de l’environnement didactique

L’élève doit être mis en contact avec des situations dans lesquelles il peut interagir. Ce peut être des situations qui l’interpellent, le concernent ou le questionnent. Apprendre, ce n’est pas ajouter des informations ; apprendre, c’est plutôt relier les informations les unes aux autres. C’est relier chacune d’elles à son propre cadre de références et, d’une manière générale, à sa propre histoire. Face à une activité, chacun l’interprète en fonction de son propre questionnement. L’intervention de l’enseignant est souvent indispensable, en particulier au début, ne serait-ce pour que qu’ils prennent conscience ; en situation de groupe pour qu’ils s’écoutent, s’aperçoivent de leurs différences et échangent avec arguments. Les individus trouvent uniquement les indices qui leur font plaisir, confirment leurs idées ou renforcent leurs convictions. L’enseignant peut mettre l’accent sur les contradictions ou les limites.
Avec des élèves concernés, la confrontation avec des informations (articles de presse, livres, multimédias…) ou la confrontation avec l’enseignant lui-même peuvent devenir d’autres pôles d’interactions favorables. Une information trop frontale ou une seule donnée sont toujours insuffisantes pour convaincre l’autre de changer d’idée. Comme au judo, l’enseignant doit prendre appui sur l'autre -ici l’élève et ses conceptions- pour le faire «lâcher prise ».
Pour y parvenir, une dissonance doit être introduite. Si l’élève n’est pas « ébranlé » sur la validité de ses croyances ou de ses pratiques, il ne changera pas. Cette dissonance ne conduit pas immédiatement à une réfutation systématique. En synergie, il lui faut élaborer un autre savoir plus pertinent. Sitôt décrit et élaboré, le savoir en développement ne se substitue à l'ancien que si l’élève y trouve un intérêt –« un plus »- et qu’il ait appris à le faire fonctionner. L'école mise encore trop sur la répétition, à en juger par l'importance accordée aux exercices d’applications ou au redoublement remis à l’honneur. Or la répétition, la technique du « disque rayé » ne facilite pas l'appropriation sur le long terme. Un savoir mémorisé lors d’une séance s’efface à toute vitesse. En permanence des mobilisations et des réactualisations s’avèrent pertinentes.
Quand la dynamique de l'apprendre est enclenchée, certains formalismes restreints peuvent l'aider à penser. Ce peut être des mots, des symboles, des schémas ou des modèles. De même, analogies et métaphores présentent un fort potentiel pour l’accompagner à comprendre. Ajoutons qu'un réseau de concepts organisateurs est une ressource supplémentaire pour permettre à l’élève de regrouper les multiples informations qu'il rencontre. Actuellement, les élèves sont trop souvent perdus devant une foule de données disparates et le phénomène risque de s'amplifier avec l'introduction d’Internet, des multimédias et des bases de données dans les classes. Etc..

L’apprendre à apprendre

Tous ces éléments présentés brièvement sont indispensables pour comprendre et apprendre. Que l'un d'entre eux vienne à manquer, et l'appropriation du savoir «patine» ou ne se fera pas. En d’autres termes la conception antérieure ou le comportement ancien se maintiendra en place. Toutefois, tous ces paramètres peuvent être présents sans que rien ne se passe. L’élève souvent bute encore sur l’apprendre à apprendre. Il ne possède pas les outils et les ressources qui sont à la base du métier d’élève.
Des apprentissages spécifiques sont à mettre en place. Parmi ceux-ci, listons ci-après les plus importants en les rangeant par catégories :


Outils du métier d’élève

Outils cognitifs
?          apprendre à mémoriser
?          apprendre à chercher l'info
?          apprendre à prendre des notes

Outils pour l'organisation
?          30 secondes pour s’organiser
?          apprendre à gérer son temps

Outils pour travailler la personne
?          développer sa confiance en soi/ son estime de soi
?          développer la curiosité

Outils pour la santé
?          apprendre à se relaxer
?          sieste/sommeil


Le métier d’enseignant change…

Le métier d’enseignant demande de dépasser plusieurs illusions pédagogiques. En premier, ne plus penser à rechercher la « bonne méthode » ! Elle n’existe pas… surtout celle valable pour tous les moments ! Apprendre est trop complexe pour passer même par une seule méthode ou même par des méthodes… Le prof. devrait plutôt penser à jongler avec les divers modèles ci-dessus en fonction de l’élève, du projet éducatif et du contexte…
Quand un élève rencontre un fort blocage, quand il a de grandes difficultés à dépasser une erreur, un « fonctionnement allostérique » est à envisager pour repenser l’approche de ce savoir avec/pour cet élève.
Mais en premier, ne pas négliger l’importance du désir d’apprendre de l’élève, c’est le moteur de l’apprentissage. Cela renvoie à ses besoins, à ses projets d’être, de faire, de vivre, au plaisir, au bonheur, au sens, au sentiment d’autonomie, à l’estime de soi…  Un important moment, souvent éludée par l’enseignant, est à consacrer sur ce plan pour tenter de suggérer ce qui peut motiver, interpeller, concerner l’élève. Sans ces préalables, le savoir en jeu ne prend pas sens et le dépassement des erreurs a peu de chances de se faire…

 

Bibliographie

JP. Astolfi, L’erreur, un outil pour enseigner, ISF, 1997
G. Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1934.
A. Giordan, G., De Vecchi G., Les origines du savoir, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1987
A. Giordan, Apprendre !, Belin, 1998
A. Giordan, J’apprends à apprendre à l’école, Playbac, 2016
O. Houdé, Le rôle positif de l’inhibition dans le développement cognitif de l’enfant, Le Journal des psychologues, 2007/1 n° 244
O. Houdé, 2013, La psychologie de l’enfant, Que sais-je ?
O. Houdé, 2014, Apprendre à résister, Editions Le Pommier.
J. Piaget, Psychologie et pédagogie, Denoël, 1976,
E Thorndikle, Educational Psychology : The Psychology of Learning. New York : Teachers College Press, 1913
L. Vygotski, Pensée et Langage, Éditions Sociales, 1985

Pour en savoir plus l’apprendre et les erreurs

Quoique tu fasses est dérisoire, mais il est essentiel que tu le fasses.
GANDHI

 


Allostérique ? Ca veut dire quoi ? Les origines du terme…

Le vocable d’« apprentissage allostérique », provient d’une métaphore biochimique que nous avons formulée en 1988 en Amérique du Nord et en Australie, lors d’une série de conférences. Elle concerne la structure et le fonctionnement de certaines protéines dites « allostériques ». Ces molécules enzymatiques, fondamentales pour la vie, changent de forme, et donc de fonction, suivant les conditions de l’environnement dans lequel elles se trouvent.
Les anglo-saxons se sont vivement intéressés à nos idées pour leurs aspects pragmatiques, en reprenant ce terme d’«allosteric learning model» pour qualifier l’originalité de notre approche. Depuis, nous assumons ce terme, malgré ses présupposés barbares pour le non-initié !

L’intérêt réside dans deux aspects très heuristiques, donc pédagogiquement porteurs, avancés par cette analogie.
1. Ce qui constitue l’originalité de la pensée d’un apprenant (ses conceptions) ce n’est pas la suite des idées qu’il a enregistrées, mais les liens qu’il est capable d’initier et qu’il mobilise, à l’identique de ces protéines dont la spécificité fonctionnelle n’est pas liée à la suite des acides aminés, mais aux liens entre les chaînes qui déterminent le site actif.
2. La forme et la fonction de ces protéines sont modifiées uniquement de l’extérieur par l’environnement, ce dernier les rendant ainsi opérationnelles. De même, on ne peut agir directement sur la pensée d’un individu ; l’enseignant, le médiateur favorise l’apprendre en « jouant » avec un environnement didactique propre à interférer avec les conceptions de l’apprenant.

 

- sur l'apprendre 
A. Giordan, Apprendre ! Belin, 1998, nlle édition alpha 2016
A. Giordan et G. De Vecchi, Les origines du savoir, Delachaux, Neuchatel, 1987, réédition Ovadia 2010
MOOC Sciences de l’apprendre. https://www.unige.ch/fapse/ldes/apprendre/
Inscription gratuite aux 3 premiers modules

- sur l’apprendre à apprendre
pour les élèves
A. Giordan, J’apprends à apprendre à l’école, Playbac, 2016
A. Giordan, J’apprends à apprendre au Collège, Playbac, 2016

pour la formation des enseignants
A.         Giordan, J. Saltet, Apprendre à apprendre, Librio, 2007
A.         Giordan, J. Saltet, Apprendre à prendre des notes, Librio, 2011, nlle ed 2015
A.         Giordan, J. Saltet, Apprendre à réviser, Librio, 2012, nlle ed 2015
A.         Giordan, J. Saltet, Apprendre à réussir, Librio, 2014

- sur l’école
A. Giordan, Une autre école pour nos enfants ? Delagrave, 2002
J. Saltet, A. Giordan, Changer le collège, Oh ! Editions, 2010

- sur les difficultés scolaires des hauts-potentiels
A. Giordan, M. Binda (coord.), Acompagner l’enfant précoce, Delagrave, 2006

- sur la place des erreurs à l’école
http://www.ecolechangerdecap.net/spip.php?article375

pour suivre, pour poser des questions à André Giordan
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